Thierry Stolarczyk

Chasseur de particules cosmiques

Comment devenir astrophysicien ?

Version 1, 17 juin 2020

Souvent sollicité pour répondre à cette question, je vous propose un petit texte qui donne quelques éléments de réponse… La recherche en astrophysique fait appel à un ensemble d’acteurs aux multiples métiers et compétences : des chercheurs (doctorat), des ingénieurs (Bac+5), des techniciens (BTS, DUT) mais également tous les métiers qui permettent d’assurer le fonctionnement de l’ensemble (informaticiens, secrétariat, commandes et achat, gestion des contrats…).

Résultats de la simulation de l’évolution de l’Univers à grande échelle sur ordinateur. Les cubes ont environ 500 millions d’années-lumière de côtés ( (c) V. Springel, MPA)

Qu’est-ce qu’un astrophysicien ?

Être chercheur en astrophysique c’est exercer un métier qui peut revêtir différents aspects qui, dans un projet de recherche, dans un projet au long cours ou dans une carrière, peuvent se succéder ou se chevaucher. Les activités en astrophysique peuvent se décliner en trois domaines.

La théorie: le théoricien en astrophysique crée des modèles (équations mathématiques) ou contribue à améliorer les modèles existants en s’attachant à une de leur sous-partie. Ces modèles se nourrissent des connaissances acquises par la communauté scientifique, en particulier les observations, et prédisent certains comportements qui devront être vérifiés par de nouvelles observations ou une nouvelle analyse des données existantes. Cela peut concerner des étoiles, des galaxies ou l'Univers tout entier et son histoire. La plupart des théoriciens en astrophysique travaillent à partir de modèles complexes, comportant un très grand nombre d’équations successives, sous la forme de codes informatiques, souvent écrits à plusieurs et développés sur des années. Certains de ses programmes tournent sur les machines les plus puissantes au monde (calcul parallèle).

Par exemple certains codes simulent l’explosion des étoiles en supernova et tente d’expliquer la luminosité résultante, ou pourquoi l’étoile n’explose pas de façon parfaitement symétrique, ce qui est parfois observé dans le Cosmos.

Une carte du ciel montrant le reste de supernova appelé « RX J1713.7-3946», en haut en rayons X avec le satellite XMM-Newton, et en bas en rayons gamma, avec l’observatoire au sol H.E.S.S. L’intensité reçue est croissante en allant du bleu vers le rouge. Cet objet astrophysique, indétectable en lumière visible, est situé à 4000 années-lumière et à une taille apparente comparable à la Lune. La confrontation de ces deux images permet de comprendre les phénomènes en cours dans cette enveloppe de matière en extension issue de l’explosion d’une étoile, une supernova."

L’observation: pour un objet particulier, ou une portion de l’Univers, l’observateur utilise des données qu’il a lui-même collectées, ou, plus généralement qui ont été collectées pour lui suite à une proposition faite à un grand ou plusieurs observatoires (par exemple le VLT au Chili). Ces données peuvent être une image du ciel avec un ou plusieurs objets, une distribution en énergie ou en longueur d’onde en provenance d’un astre ou d’une région du ciel, une variation de flux en fonction du temps etc. Les données peuvent être prises en radio, en infrarouge, en optique ou en UV, en rayons X, en rayons gamma, ou à toutes ces longueurs d’ondes conjointement.

Le chercheur analyse ces données, seul ou en équipe, avec des outils mathématiques ou de calcul numérique. Les résultats obtenus permettent de mieux comprendre le phénomène étudié, généralement sur la base de modèles théoriques plus ou moins compliqués, ou bien d’alimenter la carte d’identité de cet objet ou encore la base de données de ce type d’objet (par exemple les galaxies spirales), ou de découvrir des anomalies qui ne pourront être résolues que par d’autres observations ou une amélioration des modèles théoriques. TeVCat est un exemple de catalogue de sources émettant en rayons gamma se constituant au fil des découvertes. Certains catalogues peuvent contenir des centaines de milliers d’entrées (par exemple la catalogue Hipparcos).

Ainsi la découverte d’anomalies dans la vitesse de rotation mesurée dans les galaxies spirales a permis de faire l’hypothèse de l’existence d’une matière cachée dans l’Univers, la matière noire.

Une grande partie des astrophysiciens sont dans cette catégorie d’observateur.

L’instrumentation: dans ce domaine on trouve des chercheurs et des ingénieurs qui contribuent à imaginer, créer, définir, modéliser sur ordinateur et caractériser de nouveaux détecteurs comme des caméras dans l’infrarouge (qui mesurent la chaleur des étoiles), des détecteur radios… qui, seuls ou accompagnés de détecteurs complémentaires, seront mis au foyer d’instruments au sol ou de satellites. Cette activité couvre parfois des domaines au-delà de l’astrophysique. La détection de rayons gamma ou en rayons X par exemple est très utile en imagerie médicale. Dans ce domaine on peut également mentionner les personnes qui participent à la construction de plateformes scientifiques (satellite ou télescope au sol, interféromètre gravitationnels...). Un exemple qui illustre cette variété de métiers est le projet Solar Orbiter, ici décrit dans une séquence vidéo.

Un module de 7 yeux électroniques est mis en place sur un prototype de caméra destiné à détecter la lumière produite par les rayons gamma dans l’atmosphère dans le projet international CTA (©CEA – L.Godart)."

Quelles études faire pour devenir astrophysicien ?

Il y a de nombreux métiers en astrophysique. Ils sont tous passionnants, et même si leur quotidien peut parfois paraître éloigné de ce que l’on imagine être un astrophysicien, tous permettent d’avoir la tête au plus près des étoiles. En outre au cours d’une carrière il peut arriver que l’on passe de la théorie à l’observation ou à l’expérience, puis à la construction de détecteurs. Très souvent l’interprétation de données fait appel à tous ces champs à la fois : compréhension du phénomène (théorie), analyse des données (observation) et compréhension de l’instrument qui a permis d’obtenir ces données.

Les objets astrophysiques, et les détecteurs qui permettent de mesurer leur rayonnement, sont souvent complexes et requièrent de solides connaissances en physique générale (thermodynamique, électromagnétisme, mécanique des fluides), en physique des matériaux et en électronique (pour les instruments), en informatique et en méthode numérique (par exemple en intelligence artificielle), en théorie de la relativité, en physique nucléaire ou en physique des particules. Il est impossible pour un chercheur d’exceller dans tous ces champs de la Science à la fois, mais il doit être en mesure de pouvoir comprendre et dialoguer avec ceux de ses collègues qui ont l’expertise dans l’un de ces domaines.

En conséquence un astrophysicien a un doctorat (bac+8) en astrophysique ou plus rarement dans un sujet connexe (par exemple en physique des plasmas ou des particules), précédé par un Master (M2, bac+5) dans le même domaine.

Les masters 2 regroupent une trentaine d’étudiants. Les plus réputés d’entre eux sont très sélectifs. Ils requièrent d’avoir eu un parcours d’enseignement supérieur de haut niveau : classiquement pas de redoublement après le bac, et des notes robustes. Des mentions sont un plus mais leur importance dépend du profil de l’étudiant, de son expérience, de ses stages etc. À titre d’exemple, en région parisienne les deux masters les plus adaptés sont NPAC (https://npac.lal.in2p3.fr/ ) et A&A (http://ufe.obspm.fr/Master/Master-2-Recherche/). Mais il y a bien d’autres master de ce genre en France.

L’entrée en Master 2 se fait après bac+4, suite à une formation universitaire (M1) en physique plus ou moins sélective (par exemple magistère de physique ou double licence), ou suite à une formation d’ingénieur.

La différence principale est le passage dans une école préparatoire pour les écoles d’ingénieurs (certaines ont des « prépas » intégrées) qui incite fortement au travail et assure un encadrement fort, préféré par certains étudiants. Il n’y a pas de différence forte entre mathématique-physique (MPSI) ou physique-chimie (PCSI) à ce stade.

L’Université laisse généralement plus d’autonomie qui peut être plus propice au développement de la créativité et de la curiosité, une qualité essentielle au chercheur. Sur le web on peut obtenir la liste des masters permettant d’accéder à une formation en astrophysique.

Dans le cas des écoles d’ingénieurs, la filière « généraliste » est plus adaptée au théoricien et à l’observateur (Les plus connues sont évidemment Polytechnique, Centrale-Supelec… mais il y en a bien d’autres !). Les écoles Normales jouent un rôle particulier car elles préparent à des carrières académiques dans l’enseignement et la recherche et sont donc bien adaptées. Les élèves ingénieurs suivent généralement un M2 en dernière année (ou font une année supplémentaire en M2).

Dans tous les cas la formation universitaire ou celle d’ingénieur s’achève par un doctorat, nécessaire pour être recruté comme chercheur, et valorisable comme première expérience professionnelle en dehors de la recherche ou du secteur académique.

L’anglais est incontournable, et sa maîtrise est un grand avantage lorsqu’il faut présenter ses résultats en conférences internationales. Avoir de bonnes bases dès les années du lycée est utile.

L’informatique est un outil absolument nécessaire. Être initié à l’informatique dès le lycée et plus tard permet au moins de vérifier qu’on n’y est pas réfractaire ! Les différentes formations en informatique dans les cursus scientifiques, écoles d’ingénieurs ou universités, sont généralement très insuffisantes et de fait l’apprentissage se fait par la suite, à partir de la thèse, en fonction du sujet choisi.

Les très bonnes notes et les filières très élitistes ne forment pas forcément les meilleurs chercheurs. Mais elles permettent de s’ouvrir le maximum d’opportunités pour trouver un contrat de thèse de doctorat, une denrée devenue rare. Quoiqu’il en soit il faut toujours faire les choix qui motivent le plus.