Thierry Stolarczyk

Chasseur de particules cosmiques

NOMAD


L'équipe au CEA vers 1995. De gauche à droite: H. Zaconne, M. Banner, J. Dumarchez*, A. Baldisseri, F. Vannucci*, J. Gosset, J.Bouchez, P. Rathouit, Th. Stolarczyk, *collab. CNRS/Paris VI)

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Depuis l'époque de NOMAD, le neutrino-tau (ντ) a été découvert par l'expérience OPERA au laboratoire du Gran Sasso, une sorte de successeur de NOMAD détectant les neutrinos produits auprès d'un accélérateur au CERN à 700 km de là. Nous savons aujourd'hui que la masse du neutrino est trop petite pour contribuer significativement à la masse manquante de l'Univers.

Plus de détails sur la page consacrée aux neutrinos et aux constituants élémentaires de la matière.

La plupart des textes de cette page est issue d'un article paru dans le Bulletin de la Société française de Physique.

logo de NOMADNomad (Neutrino oscillations with a magnetic detector) était une expérience de détection des détection de neutrinos tau (ντ) auprès d'un accélérateur produisant des neutrinos muons (νμ) dans le but de mesurer leur trasformation. NOMAD, installée au Cern (Genève, Suisse), a enregistré plus d'un million d'interactions de νμ entre 1995 et 1998.
View of the NOMAD detector (in red) and the Chorus detector (in front)

Le hall expérimental où sont installées les expériences CHORUS et NOMAD, qui partageaient le même objectif scientifique avec des statégies expérimentales complémentaires.Le détecteur NOMAD est la masse rouge à gauche.

Les neutrinos étaient produits à l'aide de l'accélérateur SPS du CERN. Toutes les 14 secondes 1013 (dix mille milliards de) neutrinos traversaient les 3 tonnes de cible de l'expérience. A chaque bouffée un ou deux neutrinos seulement interagissaient.

L'espoir de la collaboration de physiciens qui imagina cette expérience dès 1991 était que parmi ces centaines de milliers d'interactions quelques unes soient dues non pas à des νμ mais à des ντ. Cette découverte aurait confirmé expérimentalement l'hypothèse d'oscillation des neutrinos, phénomène fondamental qui implique que les neutrinos soient massifs, une propriété non prédite par le modèle standard de la physique des particules. Cerise sur le gâteau, elle aurait permis de détecter le ντ pour la première fois, les scientifiques ne disposant alors que de preuves indirectes de son existence. Enfin, compte-tenu des conditions dans lesquelles il aurait pu être découvert dans NOMAD, et en particulier à la lueur des résultats de Gallex, l'observation de ντ dans NOMAD en aurait fait un excellent candidat pour expliquer la masse manquante de l'Univers.

La collaboration NOMAD (Cf. encadré) rassemblait environ 150 physiciens, essentiellement européens. La partie française était constituée du LAPP à Annecy, du LPNHE à l'université Paris 6-7 et du DAPNIA au CEA-Saclay (maintenant Irfu).

N'ayant observé l'apparition d'aucun ντ, NOMAD a permis de repousser les limites de la recherche sur les oscillations comme l'ont fait de nombreuses expériences pendant de longues années. De plus, étant données les caractéristiques du détecteur, NOMAD permit d'améliorer significativement les études faites par les expériences précédentes (CDHS, CHARM et chambres à bulles) sur les interactions du νμ avec la matière (Cf. publications).

La collaboration NOMAD était constituée d'équipes des laboratoires suivants (environ 150 physiciens) :
  • France: Annecy LAPP, Paris VI-VII University, Saclay CEA-DAPNIA (maintenant Irfu)
  • Italie : Universités et/ou laboratoires INFN de Calabria, Florence, Padoue, Pise, Rome III, Urbino;
  • Suisse : CERN, Université de Lausanne,ETH / Zurich;
  • Allemagne: Université de Dortmund;
  • Russie: Dubna JINR, Moscou INR
  • USA : Universités d'Harvard, Johns Hopkins, Caroline du sud, UCLA;
  • Australie : Université de Melbourne et de Sydney
  • Croatie: Zagreb, IRB
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    Le texte qui suit est d'un niveau scientifque plus spécialisé.

    Faisceau de νμ, apparition de ντ

    Le faisceau de neutrinos était produit à partir de protons de 450 GeV extraits du synchrotron du CERN (SPS). Les protons interagissaient dans une cible de béryllium et produisaient des hadrons pions ou kaons qui se désintègrent essentiellement en muon et νμ. A la position de NOMAD, 940 m plus loin, le faisceau était constitué de νμ à 93,9% (27 GeV d'énergie moyenne), de anti-νμ (νμ, 7,3%) d'une petite contribution de νe (0,7%) et d'anti-νe (νe, 0,2%). Les ντ y sont pratiquement absents (proportion calculée de 10-7). L'observation éventuelle d'interactions de ντ dans le détecteur signait donc forcément une oscillation.

    Détection des ντ

    Principaux modes de désintégration du lepton τ
    Mode Probabilité (%)
    μ, νμ, ντ 17,4
    e,νeτ 17,8
    π,ντ 12
    rho,ντ 26

    Lors de l'interaction d'un νe ou d'un νμ par échange de W (courant chargé) est produit un lepton chargé, muon (μ) ou électron (e), qui est de même saveur que le neutrino incident qu'il faut reconnaître. L'électron est stable et la probabilité pour que le muon se désintègre dans le détecteur est très faible (durée de vie de 2,2 μs). Dans le cas du ντ, le tau produit se désintègre immédiatement. Sa durée de vie est de l'ordre de 10-13 s, et dans NOMAD, étant donnée son énergie, il parcourt environ 1 mm avant de se désintégrer et ne peut être vu directement. Le tau se désintègre essentiellement dans les modes ci-contre.

    On voit que dans les deux premiers modes où sont émis un électron ou un muon, le processus ressemble beaucoup à l'interaction d'un νe ou d'un νμ. La différence cruciale provient de ce qu'il existe une importante énergie manquante dans l'état final puisque il y a deux neutrinos qui s'échappent. Cet argument, après une étude poussée de la cinématique de chacun des événements, permet de décider si on a eu affaire à un ντ.

    Caractéristiques du détecteur

    Détecter la présence de ντ dans le faisceau incident revient donc tout d'abord à identifier avec une excellente précision les électrons et les muons, et à mesurer la quantité de mouvement de toutes les particules produites afin de déterminer la quantité de mouvement manquante qui permet de faire la différence. Le détecteur doit donc avoir les caractéristiques suivantes :

  • Il doit être très massif afin que les neutrinos interagissent;
  • Il doit pouvoir mesurer avec une excellente précision la quantité de mouvement des particules produites;
  • Il doit pouvoir reconnaître les électrons, les muons;
  • Il doit être le plus hermétique possible pour que la quantité de mouvement manquante ne soit pas due à des particules qui accidentellement n'auraient pas été détectées.
  • Pour reconstruire aussi précisément que possible la cinématique des événements on utilise le champ magnétique de 0,4 Tesla créé par un aimant placé horizontalement dans la direction perpendiculaire à l'axe du faisceau. Le champ magnétique courbe la trajectoire des particules chargées : le rayon de courbure R des particules permet de remonter immédiatement à leur quantité de mouvement p (p varie comme B.R).


    Vue schématique en coupe du détecteur NOMAD. L'aimant crée un champ magnétique perpendiculaire au plan de cette figure qui courbe les trajectoires des particules. On a représenté une interaction de νμ avec identification du muon dans les chambres à muons.

    1. Veto
    2. Chambres à dérives
    3. T1
    4. Détecteur à rayonnement de transition
    5. T2
    6. Détecteur de pied de gerbes
    7. Calorimètre électromagnétique
    8. Calorimètre hadronique
    9. Chambres à muons
    10. Calorimètre avant
    11. Retour de champ
    12. Bobine de l'aimant

    A l'intérieur de l'aimant on trouve des chambres proportionnelles à dérive, un détecteur à rayonnement de transition, un détecteur de pieds de gerbe, et un calorimètre électromagnétique.

    Les chambres sont destinées à reconstruire les traces des particules chargées et constituent la cible. Paradoxalement, elles doivent être suffisamment massives pour obtenir un nombre non négligeable d'interactions, mais d'autre part aussi légères que possible afin de minimiser les diffusions multiples des particules produites ce qui détériorerait la précision sur la mesure de la quantité de mouvement. La cible active est constituée de 44 chambres d'un seul tenant et de 5 chambres intercalées avec les modules du détecteur à rayonnement de transition. Chaque chambre comporte 3 plans de fils sensibles. Le tout représente une masse d'environ 3 tonnes. Les chambres permettent d'atteindre une précision sur la mesure de la position de 200 um dans le sens de la hauteur et 2 mm par dans le sens de la largeur. Les chambres à dérives ont été construites au CEA-Saclay par le DAPNIA (maintenant Irfu).

    Construction d'un plan de chambre à dérive à l'Irfu en 1994 - (c) CEA, 1994

    Vue d'une carte éléctronique recevant le signal électrique déposé par les particules chargées traversant la chambre à dérive- (c) CEA, 1994

    Le détecteur à rayonnement de transition permet de distinguer les électrons des pions avec un facteur de rejet supérieur à 1000. Il est constitué de 9 modules disposés dans la dernière partie de la cible. Chaque module comporte un radiateur et un plan de détection. La particularité des électrons et de produire au passage du radiateur un rayonnement de transition (photons de quelques keV) provoqué par la succession de matériaux de constantes diélectriques différentes (315 feuilles de polypropylène dans du CO2). Ce rayonnement est absorbé dans les plans de détection et produit donc une énergie supplémentaire caractéristique des électrons. Le détecteur à rayonnement de transition a été construit par le LAPP d'Annecy.

    Le détecteur de pied de gerbes est constitué de deux plans de tubes, précédés d'une plaque de plomb-antimoine au sein de laquelle sont initiées les gerbes électromagnétiques des électrons et des photons, ce qui permet de les localiser. Les gerbes ainsi produites s'étendent généralement dans le calorimètre électromagnétique. La mesure de l'énergie déposée permet, comme dans le cas du détecteur à rayonnement de transition, de discerner les électrons des pions. Cette performance est améliorée lorsque l'on utilise le dépôt d'énergie associé dans le calorimètre électromagnétique (construit par l'Université de Lausanne).

    Le calorimètre électromagnétique permet de mesurer l'énergie des électrons et des photons. Le calorimètre est composé de blocs de verre au plomb où les particules de la gerbe électromagnétique dont la vitesse dépasse la vitesse de la lumière dans ce milieu produisent un effet Cerenkov (production de lumière dans un domaine proche du visible). Cette lumière est détectée par des photomultiplicateurs spéciaux (tétrodes) adaptés à l'environnement magnétique.A l'extérieur de l'aimant on trouve un calorimètre hadronique et des chambres à muons.

    Le calorimètre hadronique détecte et mesure l'énergie des hadrons, en particulier les neutres (neutrons, K0) qui n'ont pas pu être détectés dans la partie amont du détecteur. Il doit en particulier permettre une étude plus poussée des deux modes de désintégrations de la table 2. Le calorimètre hadronique est constitué de plans de scintillateurs enchâssés dans la masse de fer qui sert à fermer le champ de la bobine magnétique en aval. Les hadrons interagissent dans la masse de fer et produisent des gerbes de particules détectées par les scintillateurs.

    Le détecteur à muons est composé de 5 modules contenant chacun deux chambres à fils sensibles. Ce système permet de déterminer le passage d'un muon avec une précision intrinsèque de 250 um. Les muons ayant la particularité de n'interagir que très peu avec la matière le bloc de fer fermant la bobine de l'aimant (c'est-à-dire le calorimètre hadronique) sert de filtre à muons.

    En plus de ces sous-détecteurs NOMAD est équipé de trois plans de scintillateurs utilisés comme déclencheurs : le plan V (pour Veto) en amont, le plan T1 au début de la zone du détecteur à rayonnement de transition, et le plan T2 juste avant le détecteur de pieds de gerbe. L'interaction d'un neutrino ne produit pas de signal dans V et en coïncidence un signal dans T1 et T2