Thierry Stolarczyk
Chasseur de particules cosmiques
L’atmosphère terrestre est bombardée par un flux de particules provenant du cosmos, appelé rayonnement cosmique. Découvert il y a plus de cent ans, composé essentiellement de protons, son origine reste incertaine car ces protons sont déviés durant leur long voyage. Il trouverait son origine au sein de phénomènes cataclysmiques aux confins de l’Univers.
Simulation de la trajectoire de trois rayons cosmiques dans la galaxie, chahutés par les champs magnétiques interstellaires. L’image est un carré de 100 000 années-lumière de côté.
Galaxie M51, NASA and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA) et F. Effenberger et al. A&A 547, A120 (2012) pour le graphique.
Lorsque vous aurez fini de lire cette phrase, votre main aura été
traversée par une vingtaine de particules infiniment petites
venues du ciel.
La très grande majorité d’entre elles n’existe pas dans la matière ordinaire, celle qui nous constitue.
Dans la nature, elles ne sont rencontrées que dans cette pluie continue communément appelée le « rayonnement cosmique ».
Sa découverte est une aventure en soit qui démarra avec les premières explorations de l’infiniment petit.
En 1912, le physicien autrichien Viktor Hess décida d’emporter avec lui, dans la nacelle d’un ballon, des instruments de mesure de la radioactivité,
découverte en 1896 par Henri Becquerel. Il s’agissait de vérifier que les particules qui en sont émises sont bien issues de la surface de la Terre.
Lors du vol qui dura 6 heures, le taux de radioactivité diminua avec l’altitude jusqu’à environ 1000 mètres, mais,
étonnamment, il se mit à augmenter alors que l’équipage gagnait de l’altitude.
À 5300 mètres, il mesura un taux de radiation quatre fois supérieur à celui mesuré au sol.
Il devint clair qu’une partie au moins de la radioactivité devait provenir du ciel et que cette composante
était atténuée à la traversée de l’atmosphère. A cette époque l’infiniment petit n’avait dévoilé que le noyau, l’électron et quelques rayonnements,
tels les rayons X. Ce phénomène fut donc baptisé rayonnement cosmique.
Détail de la région de Cygnus-X vue par le télescope infrarouge Herschel, une région du ciel susceptible
d’émettre des particules du rayonnement cosmique.
Crédits : Cygnus-X, The cool swan glowing in flight, recadrage– © ESA/PACS/SPIRE/M. Henneman et F. Motte, Laboratoire AIM Paris-Saclay, CEA/Irfu – CNRS/INSU – Univ. Paris Diderot
Pluie cosmique : Pluie de particules résultant de réactions en chaîne, elles-mêmes issues de l’interaction d’une particule cosmique avec les noyaux de l’atmosphère
Illustration © CEA/M. Jamon
Victor Hess lors d’une campagne de mesure (vers 1911)
© Viktor Franz Hess Society, Schloss Pöllau/Austria
La voie lactée, notre galaxie, ou encore la Galaxie, un ensemble abritant 200 milliards d’étoiles, regroupées dans une structure en forme de disque, de 50000 années-lumière de rayon et de 500 années-lumière d’épaisseur. Le système solaire se trouve à environ 30000 années-liumières de son centre
En photo, la galaxie d'Andromède, située à 2,5 millions d'années-lumière, présente un aspect très proche de celui de la voir lactée
(c) Tony Hallas
Nous savons depuis les années 1930 que la pluie cosmique est le résultat de collisions incessantes de noyaux, à des vitesses proches de celle de la lumière, avec les atomes de l’atmosphère à une quinzaine de kilomètres d’altitude. Ces collisions donnent naissance à des gerbes contenant une myriade de particules, souvent exotiques et éphémères. Une unique gerbe peut arroser la surface de la Terre sur des kilomètres carrés.
Dans l’hypothèse où un objet cosmique accélère des noyaux à très haute énergie, une partie d’entre eux est susceptible d’entrer en collision à l’intérieur ou à proximité de cet objet, induisant ainsi une pluie de particules, comme dans l’atmosphère. Toutes ces particules seront rapidement arrêtées, ralenties ou déviés, sauf peut-être les photons, et en particulier sa composante la plus énergétique, les rayons gamma. N’étant pas déviés par les champs magnétiques, leur détection peut permettre de remonter à l’objet qui leur a donné naissance. L’observation du ciel en gamma ces trente dernières années a révélé de nombreux objets sièges de phénomènes très énergiques, parfois cataclysmiques, qui sont susceptibles d’être des accélérateurs de rayons cosmiques.
Certains de ces objets sont dans notre galaxie, la Galaxie, un ensemble abritant 200 milliards d’étoiles, regroupées dans une structure en forme de disque. Une étoile est essentiellement une sphère d’hydrogène, l’élément le plus abondant de l’Univers. En s’effondrant sous son propre poids, son cœur atteint des densités et des températures permettant la fusion de l’hydrogène en hélium. Cette fusion thermonucléaire émet l’énergie qui permet de compenser l’effondrement, aboutissant à un état stable, celui d’étoile, pendant des millions ou des milliards d’années. Le Soleil brille ainsi depuis quatre milliards d’années et pour encore à peu près autant de temps.
Une fois l’hydrogène consommé, l’étoile se métamorphose et se précipite vers différents destins, tous funestes.
Pour les étoiles de la taille du Soleil, une fois l’hydrogène consommé l’effondrement gravitationnel redémarre, enclenchant la fusion de l’hélium en carbone, tandis que les couches externes se dilatent, donnant naissance à une géante rouge. Une fois l’hélium consommé l’étoile devient une naine blanche, un astre très chaud et très compact de la taille de la Terre, mais de la moitié de la masse du Soleil.
Pour des étoiles plus massives, au-delà de huit fois la masse du Soleil, des effondrements successifs permettent de produire l’oxygène à partir du carbone, puis le néon, le magnésium, le silicium et enfin le fer. À ce stade, l’effondrement gravitationnel conduit à la formation d’une étoile à neutrons, une sorte de noyau atomique d’une vingtaine de kilomètre de diamètre (densité d’un milliard de tonnes par centimètre-cube).
Pour les étoiles de plus de 25 fois la masse du Soleil, l’effondrement gravitationnel se poursuit jusqu’au trou noir, un objet ayant une masse d’une fois à une dizaine de fois la masse du Soleil, concentrée en un point de l’espace. Un trou noir est par essence indétectable puisque même la lumière ne peut s’en échapper. Au contraire, les effets qu’il produit sur l’environnement peuvent être spectaculaires.
Lors de l’effondrement final du cœur, les couches externes de l’étoile, qui contiennent tous les éléments jusqu’au fer, sont éjectées en quelques secondes à un dixième de la vitesse de la lumière, donnant naissance à une supernova. Dans ce processus des réactions nucléaires permettent aux noyaux plus lourds que le fer d’être formés. Au final l’explosion ensemence l’espace interstellaire des 92 éléments chimiques connus, de l’hydrogène à l’uranium.
L’éjecta de matière présente la forme d’une enveloppe sphérique, ce que l’on appelle
un reste de supernova
.
Pendant des milliers d’années, les chocs engendrés par l’expansion de cette enveloppe dans
le milieu interstellaire permettront d’accélérer les particules à très haute énergie.
Les restes de supernovæ sont aujourd’hui les sources les plus probables du rayonnement cosmique dans la Galaxie.
Image du reste de supernova appelé SN1006 obtenue à partir d’observations en lumière visible, en onde radio et en rayons X. Ce reste de supernova est issu de l’exposition d’une supernova observé en l’an 1006 de notre ère.
© X-ray: NASA/CXC/Rutgers/G.Cassam-Chenaï, J.Hughes et al.; Radio: NRAO/AUI/NSF/GBT/VLA/Dyer, Maddalena & Cornwell; Optical: Middlebury College/F.Winkler, NOAO/AURA/NSF/CTIO Schmidt & DSS
Les cadavres stellaires sont également suspectés de jouer un rôle. L’étoile à neutrons qui résulte de l’effondrement stellaire tourne très rapidement sur elle-même et émet périodiquement des ondes radios ou des rayons X, signalant la présence de particules accélérées. C’est ce que l’on appelle un pulsar (pour pulsating radio source).
Une étoile à neutrons ou un trou noir peuvent aspirer la matière d’une étoile compagnon. Cette chute tourbillonnante crée des jets de particules accélérées détectables sur des centaines de milliers de fois la distance Terre-Soleil en lumière visible, en ondes radio et en rayons X, parfois même en rayons gamma. Ces phénomènes sont appelés des microquasars.
L’Univers lointain recèle des phénomènes encore plus violents que les jets des noyaux actifs de galaxie : les émetteurs de sursauts gamma (GRB pour Gamma-Ray Burst en anglais). Ce sont des émissions de très forte intensité, pouvant parfois dépasser la luminosité totale du ciel, qui durent de quelques dixièmes de seconde à quelques dizaines de secondes. Pendant ce laps de temps, l’énergie émise est comparable à celle émise par le Soleil pendant toute sa vie. Ces explosions, détectées en ondes radio jusqu’en rayons gamma, sont suivies d’une émission dont l’énergie moyenne décroît, jusqu’à disparaitre en quelques minutes à quelques mois. Les sursauts gamma sont généralement associés à des galaxies situées à une dizaine de milliards d’années lumières ou au-delà. Compte tenu des énergies colossales mises en jeu, les sursauts gamma pourraient contribuer à l’accélération du rayonnement cosmique de très haute énergie.
![]() Gros plan sur le centre de la galaxie M87, une galaxie de l’amas de la Vierge, le plus proche de la Terre à 50 millions d’années lumières. Un jet est émis du centre sur plusieur milliers d’années lumière. © J. A. Biretta et al., Hubble Heritage Team (STScI /AURA), NASA |
![]() Illustration d’une galaxie spirale, similaire à la voie lactée, avec des jets émettant des particules à des vitesses proches de la lumière. L’interaction de ces particules produit de la lumière à toutes les longueurs d’ondes ; ces phénomènes sont susceptibles d’accélérer les noyaux du rayonnement cosmique. © CEA – M. Jamon |
Pour en savoir plus
Découvert il y a un siècle tout juste, le rayonnement cosmique est une pluie de particules qui bombarde la Terre en permanence. étudié sous toutes les facettes depuis les premiers vols en ballons, il a d’abord été un outil de découverte de l’infiniment petit. Il est aujourd’hui traqué aux quatre coins du monde dans l’espoir de percer les mystères qui l’entourent encore : D’où vient-il dans l’Univers ? Quels sont les phénomènes qui permettent de donner aux particules infiniment petites qui le composent des énergies macroscopiques ? Quel est son influence dans notre quotidien ?
Collection Petites pommes du savoir
Editions Le pommier
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