Thierry Stolarczyk

Chasseur de particules cosmiques

Rayons cosmiques

L’atmosphère terrestre est bombardée par un flux de particules provenant du cosmos, appelé rayonnement cosmique. Découvert il y a plus de cent ans, composé essentiellement de protons, son origine reste incertaine car ces protons sont déviés durant leur long voyage. Il trouverait son origine au sein de phénomènes cataclysmiques aux confins de l’Univers.

Simulation de la trajectoire de trois rayons cosmiques dans la galaxie, chahutés par les champs magnétiques interstellaires. L’image est un carré de 100 000 années-lumière de côté.

IL PLEUT DES PARTICULES

Lorsque vous aurez fini de lire cette phrase, votre main aura été traversée par une vingtaine de particules infiniment petites venues du ciel. La très grande majorité d’entre elles n’existe pas dans la matière ordinaire, celle qui nous constitue. Dans la nature, elles ne sont rencontrées que dans cette pluie continue communément appelée le « rayonnement cosmique ».

Sa découverte est une aventure en soit qui démarra avec les premières explorations de l’infiniment petit. En 1912, le physicien autrichien Viktor Hess décida d’emporter avec lui, dans la nacelle d’un ballon, des instruments de mesure de la radioactivité, découverte en 1896 par Henri Becquerel. Il s’agissait de vérifier que les particules qui en sont émises sont bien issues de la surface de la Terre. Lors du vol qui dura 6 heures, le taux de radioactivité diminua avec l’altitude jusqu’à environ 1000 mètres, mais, étonnamment, il se mit à augmenter alors que l’équipage gagnait de l’altitude. À 5300 mètres, il mesura un taux de radiation quatre fois supérieur à celui mesuré au sol. Il devint clair qu’une partie au moins de la radioactivité devait provenir du ciel et que cette composante était atténuée à la traversée de l’atmosphère. A cette époque l’infiniment petit n’avait dévoilé que le noyau, l’électron et quelques rayonnements, tels les rayons X. Ce phénomène fut donc baptisé rayonnement cosmique.

Détail de la région de Cygnus-X vue par le télescope infrarouge Herschel, une région du ciel susceptible d’émettre des particules du rayonnement cosmique.

Pluie cosmique : Pluie de particules résultant de réactions en chaîne, elles-mêmes issues de l’interaction d’une particule cosmique avec les noyaux de l’atmosphère

Victor Hess lors d’une campagne de mesure (vers 1911)

La voie lactée, notre galaxie, ou encore la Galaxie, un ensemble abritant 200 milliards d’étoiles, regroupées dans une structure en forme de disque, de 50000 années-lumière de rayon et de 500 années-lumière d’épaisseur. Le système solaire se trouve à environ 30000 années-liumières de son centre

En photo, la galaxie d'Andromède, située à 2,5 millions d'années-lumière, présente un aspect très proche de celui de la voir lactée

Nous savons depuis les années 1930 que la pluie cosmique est le résultat de collisions incessantes de noyaux, à des vitesses proches de celle de la lumière, avec les atomes de l’atmosphère à une quinzaine de kilomètres d’altitude. Ces collisions donnent naissance à des gerbes contenant une myriade de particules, souvent exotiques et éphémères. Une unique gerbe peut arroser la surface de la Terre sur des kilomètres carrés.

D’OU VIENT LE RAYONNEMENT COSMIQUE ?

Des mesures avec des ballons et des satellites montrent que la composition des noyaux atteignant le sommet de l’atmosphère est assez semblable à celle du système solaire : Il s’agit d’hydrogène, des protons, pour environ 89% et d’hélium pour 10%, le reste étant constitué d’éléments plus lourds et d’une petite fraction d’électrons.
Une étude détaillée montre cependant quelques variations de composition, interprétables comme la conséquence de collisions avec la matière interstellaire, et qui permettent de conclure que ces particules ont parcouru des milliers d’années-lumière avant d’arriver sur Terre.
Ce flux de particules est donc le résultat de la propagation d’un rayonnement cosmique primordial émis loin, très loin, hors du système solaire. En mesurant les caractéristiques de la pluie cosmique au sol avec d’immenses détecteurs, on peut montrer que certains des noyaux atteignant la haute atmosphère - des particules d’un millionième de milliardième de mètre de diamètre - peuvent posséder des énergies pouvant atteindre celle emportée par une balle de tennis lors d’un ace à Roland-Garros! Heureusement ces événements sont très rares, environ un toutes les 6 secondes sur Terre, et l’atmosphère nous en protège puisque ces énergies colossales se retrouvent réparties dans la pluie cosmique.
Alors que la pluie cosmique a été découverte depuis plus de cent ans, l’origine du rayonnement cosmique reste un mystère. En particulier, comme les noyaux sont déviés par les champs magnétiques interstellaires ou intergalactiques sur leur trajet, leur observation donne une vue floue de la voute céleste et ne permet pas de déterminer leur provenance.

Quels sont donc les phénomènes de l’Univers suceptibles d’accélérer des particules à des énergies parfois bien supérieures à celles que nous ne pourrons certainement jamais atteindre sur Terre

 Dans l’hypothèse où un objet cosmique accélère des noyaux à très haute énergie, une partie d’entre eux est susceptible d’entrer en collision à l’intérieur ou à proximité de cet objet, induisant ainsi une pluie de particules, comme dans l’atmosphère. Toutes ces particules seront rapidement arrêtées, ralenties ou déviés, sauf peut-être les photons, et en particulier sa composante la plus énergétique, les rayons gamma. N’étant pas déviés par les champs magnétiques, leur détection peut permettre de remonter à l’objet qui leur a donné naissance. L’observation du ciel en gamma ces trente dernières années a révélé de nombreux objets sièges de phénomènes très énergiques, parfois cataclysmiques, qui sont susceptibles d’être des accélérateurs de rayons cosmiques.

VIE ET MORTS DES ETOILES

Certains de ces objets sont dans notre galaxie, la Galaxie, un ensemble abritant 200 milliards d’étoiles, regroupées dans une structure en forme de disque. Une étoile est essentiellement une sphère d’hydrogène, l’élément le plus abondant de l’Univers. En s’effondrant sous son propre poids, son cœur atteint des densités et des températures permettant la fusion de l’hydrogène en hélium. Cette fusion thermonucléaire émet l’énergie qui permet de compenser l’effondrement, aboutissant à un état stable, celui d’étoile, pendant des millions ou des milliards d’années. Le Soleil brille ainsi depuis quatre milliards d’années et pour encore à peu près autant de temps.

Une fois l’hydrogène consommé, l’étoile se métamorphose et se précipite vers différents destins, tous funestes.

Pour les étoiles de la taille du Soleil, une fois l’hydrogène consommé l’effondrement gravitationnel redémarre, enclenchant la fusion de l’hélium en carbone, tandis que les couches externes se dilatent, donnant naissance à une géante rouge. Une fois l’hélium consommé l’étoile devient une naine blanche, un astre très chaud et très compact de la taille de la Terre, mais de la moitié de la masse du Soleil.

Pour des étoiles plus massives, au-delà de huit fois la masse du Soleil, des effondrements successifs permettent de produire l’oxygène à partir du carbone, puis le néon, le magnésium, le silicium et enfin le fer. À ce stade, l’effondrement gravitationnel conduit à la formation d’une étoile à neutrons, une sorte de noyau atomique d’une vingtaine de kilomètre de diamètre (densité d’un milliard de tonnes par centimètre-cube).

 Pour les étoiles de plus de 25 fois la masse du Soleil, l’effondrement gravitationnel se poursuit jusqu’au trou noir, un objet ayant une masse d’une fois à une dizaine de fois la masse du Soleil, concentrée en un point de l’espace. Un trou noir est par essence indétectable puisque même la lumière ne peut s’en échapper. Au contraire, les effets qu’il produit sur l’environnement peuvent être spectaculaires.

Lors de l’effondrement final du cœur, les couches externes de l’étoile, qui contiennent tous les éléments jusqu’au fer, sont éjectées en quelques secondes à un dixième de la vitesse de la lumière, donnant naissance à une supernova. Dans ce processus des réactions nucléaires permettent aux noyaux plus lourds que le fer d’être formés. Au final l’explosion ensemence l’espace interstellaire des 92 éléments chimiques connus, de l’hydrogène à l’uranium.

L’éjecta de matière présente la forme d’une enveloppe sphérique, ce que l’on appelle un reste de supernova . Pendant des milliers d’années, les chocs engendrés par l’expansion de cette enveloppe dans le milieu interstellaire permettront d’accélérer les particules à très haute énergie. Les restes de supernovæ sont aujourd’hui les sources les plus probables du rayonnement cosmique dans la Galaxie.

Image du reste de supernova appelé SN1006 obtenue à partir d’observations en lumière visible, en onde radio et en rayons X. Ce reste de supernova est issu de l’exposition d’une supernova observé en l’an 1006 de notre ère.

 

Les cadavres stellaires sont également suspectés de jouer un rôle. L’étoile à neutrons qui résulte de l’effondrement stellaire tourne très rapidement sur elle-même et émet périodiquement des ondes radios ou des rayons X, signalant la présence de particules accélérées. C’est ce que l’on appelle un pulsar (pour pulsating radio source).

Une étoile à neutrons ou un trou noir peuvent aspirer la matière d’une étoile compagnon. Cette chute tourbillonnante crée des jets de particules accélérées détectables sur des centaines de milliers de fois la distance Terre-Soleil en lumière visible, en ondes radio et en rayons X, parfois même en rayons gamma. Ces phénomènes sont appelés des microquasars.

CATACLYSMES COSMIQUES AUX CONFINS DE L’UNIVERS

Hélas aucun objet dans la Galaxie ne permet a priori d’accélérer des particules aux énergies les plus importantes observées. C’est donc plus loin qu’il faut chercher les accélérateurs cosmiques les plus énergiques.
Le premier type d’objet cosmique suffisamment étendu pour accélérer les particules aux énergies les plus élevées est le noyau actif de certaines galaxies . Il s’agit, au sein d’une galaxie par ailleurs tout à fait ordinaire, de la région centrale abritant un trou noir pouvant atteindre une masse de plusieurs milliards de fois celle du Soleil. La matière environnante y tombe au rythme d’une masse solaire par an depuis des milliards d’années, engendrant, comme dans le cas des microquasars, des jets de particules provoquant des émissions détectées à toutes les longueurs d’ondes. Découverts il y a une cinquantaine d’années, certains d’entre eux peuvent briller autant que mille galaxies ordinaires. Ils peuvent être si brillants qu’au moment de leur découverte ils étaient pris pour des étoiles proches dans notre propre galaxie. Les plus lointains d’entre eux sont pourtant détectés aux confins de l’Univers visible. Les jets extrêmement énergiques qu’ils émettent s’étendent sur des centaines ou des millions d’années lumières et pourraient accélérer des rayons cosmiques.

L’Univers lointain recèle des phénomènes encore plus violents que les jets des noyaux actifs de galaxie : les émetteurs de sursauts gamma (GRB pour Gamma-Ray Burst en anglais). Ce sont des émissions de très forte intensité, pouvant parfois dépasser la luminosité totale du ciel, qui durent de quelques dixièmes de seconde à quelques dizaines de secondes. Pendant ce laps de temps, l’énergie émise est comparable à celle émise par le Soleil pendant toute sa vie. Ces explosions, détectées en ondes radio jusqu’en rayons gamma, sont suivies d’une émission dont l’énergie moyenne décroît, jusqu’à disparaitre en quelques minutes à quelques mois. Les sursauts gamma sont généralement associés à des galaxies situées à une dizaine de milliards d’années lumières ou au-delà. Compte tenu des énergies colossales mises en jeu, les sursauts gamma pourraient contribuer à l’accélération du rayonnement cosmique de très haute énergie.

Gros plan sur le centre de la galaxie M87, une galaxie de l’amas de la Vierge, le plus proche de la Terre à 50 millions d’années lumières. Un jet est émis du centre sur plusieur milliers d’années lumière.

Illustration d’une galaxie spirale, similaire à la voie lactée, avec des jets émettant des particules à des vitesses proches de la lumière. L’interaction de ces particules produit de la lumière à toutes les longueurs d’ondes ; ces phénomènes sont susceptibles d’accélérer les noyaux du rayonnement cosmique.

Pour en savoir plus

Découvert il y a un siècle tout juste, le rayonnement cosmique est une pluie de particules qui bombarde la Terre en permanence. étudié sous toutes les facettes depuis les premiers vols en ballons, il a d’abord été un outil de découverte de l’infiniment petit. Il est aujourd’hui traqué aux quatre coins du monde dans l’espoir de percer les mystères qui l’entourent encore : D’où vient-il dans l’Univers ? Quels sont les phénomènes qui permettent de donner aux particules infiniment petites qui le composent des énergies macroscopiques ? Quel est son influence dans notre quotidien ?

Collection Petites pommes du savoir
Editions Le pommier

Autres pages sur ce site:

  • Particules
  • Antares, un télescope sous-marin à neutrinos.
  • CTA, observer les phénomènes cataclysmiques de l'Univers
  • Sur le web

  • Simulations d'interaction du rayonnement cosmique dans l'atmosphère (page en anglais): AIRES Cosmic Ray Showers.